Note sur l’origine de ce texte
Catherine de Gênes (1447-1510), canonisée en 1737, est une mystique italienne ayant reçu des visions du Purgatoire, sans interagir directement avec les âmes. Les écrits qui lui sont attribués ont été composés par ses intimes, sous la dictée et les confidences, dans sa biographie (la Vita). Le Traité du Purgatoire est extrait de cette Vita, où il apparaît comme un chapitre monolithique sans division ni sous-titres. Catherine parle à la troisième personne, se désignant elle-même comme « cette âme », par humilité et dans le style littéraire de l’époque.
Nous proposons ici l’édition la plus ancienne de ce texte du Moyen-Âge, publié en latin et traduit au XIXème siècle. La division et le titre des chapitres ne sont pas d’époque, et ont été rajoutés pour faciliter la lecture de ce texte.
Publié par les édition Perisse Frères en 1881, traduit du latin par les bollandistes1.
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1 • Le Purgatoire est un feu d’amour
Le feu du divin amour, que la grâce a allumé dans mon cœur, me fait comprendre, ce me semble, la nature du purgatoire, et la manière dont les âmes y sont tourmentées. Ce feu d’amour a pour effet d’effacer les imperfections et les taches de mon âme, afin qu’au sortir de cette vie, me trouvant entièrement purifiée, mon Dieu daigne m’admettre en sa présence. Voilà bien aussi ce qu’opère le feu du purgatoire dans les âmes qui ont quitté la terre, sans être entièrement purifiées ; il dévore la rouille et les taches du péché qui les défigurent, afin de leur donner cette pureté qui leur ouvre ensuite la porte du paradis.
Dans cette fournaise d’amour, où je suis plongée, je demeure incessamment unie à Dieu, mon bien-aimé, et j’acquiesce de bon cœur à tout ce qu’il lui plaît d’opérer dans mon âme. Or, tel est précisément l’état des âmes que Dieu achève de purifier dans l’autre vie. D’après ce que je vois, ces âmes captives dans les prisons du purgatoire ne peuvent désirer une autre demeure que la prison où Dieu les a justement renfermées. Elles ne peuvent se replier sur elles-mêmes, et raisonner ainsi : ce sont tels et tels péchés que nous avons commis, qui nous ont amenées dans ce lieu de souffrances. Ah ! Plût à Dieu que nous nous en fussions abstenues ; nous jouirions, à l’heure qu’il est, des joies de la céleste patrie. Elles ne peuvent pas non plus s’affliger et se plaindre, quand elles sont témoins de la délivrance de quelques-unes d’entre elles ; elles ne conservent aucun souvenir, ni en bien ni en mal, soit par rapport à elles-mêmes, soit par rapport aux autres, qui puissent aggraver les peines auxquelles elles sont condamnées.
2 • Les âmes sont uniquement tournées vers Dieu
La sainte volonté de Dieu, qui dispose d’elles selon le bon plaisir de sa Majesté, leur est si chère et si agréable, qu’au milieu de leurs tourments elles ne peuvent être sensibles à ce qui les touche ; elles ne voient que la divine bonté qui se satisfait dans tout ce qu’elle opère à leur égard ; elles ne sont occupées que de la considération de sa clémence et de sa miséricorde, sans réfléchir jamais sur leur bien ou sur leur mal. S’il en était autrement, on ne pourrait pas dire, ce qui pourtant est bien vrai, qu’elles sont douées d’une charité pure ; encore moins peuvent-elles penser que les compagnes de leurs souffrances y ont été condamnées pour tels et tels péchés, bien loin qu’elles puissent s’en occuper dans leur souvenir ; car ce serait une imperfection qui ne saurait se rencontrer dans un lieu où toute puissance de faillir est détruite.
Elles ont connu les raisons de leur jugement, au moment où elles se séparaient de leurs corps ; ensuite elles en ont perdu la mémoire. Si elles conservaient cette connaissance, il y aurait, dans ce lieu qu’elles habitent, quelque propriété ; ce qui n’est assurément pas
3 • Tranquillité, joie et acceptation des peines
Enfin, irrévocablement fixées dans la charité, sans pouvoir désormais rien admettre qui soit contre elle ou hors d’elle, il ne leur reste aucune liberté pour vouloir ou désirer autre chose que ce qui est conforme à la pure charité. Elles souffrent dans le feu, et cruellement sans doute ; mais telle est la sainte volonté de Dieu, et elles l’approuvent de toute manière, parce qu’ainsi le veut la charité dont elles ne peuvent s’écarter en rien, puisqu’elles n’ont plus la faculté de commettre aucune faute.
Je n’aurais jamais cru que cette tranquillité et ce contentement dont jouissent les habitants du ciel pussent être l’apanage des âmes du purgatoire, et se concilier avec leurs souffrances. Cependant, rien n’est plus vrai. Cette tranquillité va même en croissant, chaque jour, par la communication de Dieu et son influence ; et cet accroissement se fait d’autant plus que ce qui forme empêchement à cette influence diminue. Or, cet empêchement n’est pas autre chose que la rouille du péché qui est détruite par le feu.
4 • Le feu du Purgatoire enlève la rouille du péché
C’est de cette manière que l’âme s’ouvre de plus en plus et se prépare aux communications divines. Voici une comparaison qui peut répandre quelque jour sur cette vérité. Un cristal couvert d’une croûte de poussière ne saurait recevoir les rayons du soleil. Ce n’est pas la faute de cet astre, qui ne cesse de répandre partout sa lumière ; mais elle est interceptée par ce corps étranger. Nettoyez ce cristal, la lumière le pénétrera, et d’autant plus abondamment que vous le purifierez davantage.
De même, le péché est une rouille qui couvre l’âme et l’empêche de recevoir les rayons du vrai soleil qui est Dieu : mais le feu du purgatoire dévore cette rouille, et, à mesure qu’elle disparaît, l’âme reçoit plus abondamment cette lumière divine qui introduit avec elle le contentement et la paix.
Il se fait donc un accroissement successif de tranquillité dans les âmes du purgatoire, par l’action dévorante du feu sur l’empêchement qui s’y opposait, et cet effet va toujours croissant jusqu’à l’expiration du temps donné à la peine : ce temps aussi diminue chaque jour et à chaque instant : mais il n’en est pas de même de la peine qui résulte du retardement de la vue de Dieu. Elle ne diminue pas en approchant de son terme.
5 • Les âmes ne se plaignent pas de leurs souffrances
Quant à ce qui concerne la volonté de ces âmes souffrantes, jamais elles n’appellent leurs supplices des supplices, jamais il ne leur arrive de les considérer comme tels, tant la disposition de Dieu à leur égard les rend résignées et paisibles, par l’amour pur avec lequel elles embrassent cette sainte et tout aimable volonté. Elles souffrent néanmoins des tourments si cruels, que ni le langage ne les peut exprimer, ni aucune intelligence ne les peut comprendre, à moins d’une lumière extraordinaire, que je crois avoir reçue, sans pouvoir toutefois rendre ce que j’ai vu.
Du reste, ce que Dieu, dans sa bonté, a daigné me découvrir de l’état de ces âmes n’est jamais sorti de ma mémoire. Je l’expliquerai donc autant que je le pourrai ; et ceux-là m’entendront à qui Dieu daignera ouvrir l’intelligence.
6 • La mort fait revenir l’âme dans sa véritable relation à Dieu
L’origine et le fondement de toutes les peines, c’est d’abord le péché originel, et ensuite le péché actuel. Voilà ce qu’il s’agit d’abord de bien comprendre, avant de passer outre. Lorsque Dieu crée une âme, elle sort de ses mains pure, simple, exempte de toute souillure du péché, et douée d’un instinct qui la pousse vers lui comme vers son centre et sa béatitude.
Mais le péché originel affaiblit beaucoup cet instinct, et le péché actuel encore davantage. Plus cet instinct diminue, plus le pécheur devient mauvais ; plus il devient mauvais, et moins Dieu se communique à lui par sa grâce ; en sorte, néanmoins, qu’il ne l’en prive jamais entièrement, autrement son salut deviendrait impossible.
Ainsi perd-il successivement ce qu’il y a de bon en lui ; car ce qui est bon n’est tel que par une participation de la bonté de Dieu. Or, si cette divine bonté se communique aux habitants du ciel, autant qu’il lui plaît, c’est-à-dire dans la mesure arrêtée dans ses décrets, elle n’en agit pas de même à l’égard des âmes qui vivent sur la terre. Elle se communique plus ou moins à celles-ci, selon qu’elle les trouve plus ou moins exemptes du péché, qui met obstacle à sa participation. Quand donc une âme coupable revient à sa pureté primitive, à cette innocence dans laquelle elle fut créée, ses communications avec Dieu recommencent.
Alors cet instinct béatifique, qu’elle avait perdu, revient, augmente chaque jour ; et le feu du divin amour, qui l’enflamme, la pousse avec tant de force vers sa fin dernière, que tout empêchement qu’elle rencontre sur sa route lui est un insupportable tourment ; et plus elle voit clairement ce qui l’arrête, et plus elle souffre.
7 • Jugement de l’âme
Or, comme les âmes du purgatoire sont exemptes de la culpabilité du péché, la peine est désormais le seul empêchement qui s’oppose au rassasiement de leur instinct béatifique ; et parce qu’elles voient clairement qu’il n’y a que cette faible barrière qui les empêche d’aller à Dieu, que cet unique lien, formé par la justice, retarde leur bonheur.
Cette connaissance allume en elles un feu qui les dévore, feu absolument semblable à celui de l’enfer. Il y a cependant loin de leur état à celui des damnés, parce qu’enfin, si elles subissent la peine, elles sont exemptes de la culpabilité, qui rend les damnés toujours criminels, et oblige Dieu à leur soustraire sa bonté : ce qui les réduit au désespoir, et les fixe dans une volonté perverse entièrement opposée à la volonté divine. Il est certain, en effet, que la volonté de l’homme en révolte contre la volonté de Dieu constitue le péché, et que le péché ne saurait cesser d’exister tant que cette volonté qui le produit persévère.
Or, les damnés étant dans cet état de volonté perverse lorsqu’ils perdirent la vie, leurs péchés ne furent point remis et ne peuvent l’être, parce que la mort a rendu leur volonté invariable. L’âme est fixée pour toujours dans le bien ou dans le mal, selon la disposition de sa volonté au moment de la mort. C’est à ce moment décisif que Dieu la juge, ou miséricordieusement, si sa volonté s’est retournée vers lui par une sincère pénitence, ou en toute rigueur, s’il la trouve encore attachée à son péché, selon qu’il est écrit : Où je te trouverai, là je te jugerai : Ubi invenero, ibi te judicabo. Quoi qu’il en soit, la sentence une fois prononcée est irrévocable, parce que toute liberté cessant avec la vie, l’âme doit demeurer éternellement dans la situation où la mort la trouve.
8 • Différences par rapport à l’enfer
Mais voici la différence entre les âmes du purgatoire et les âmes damnées. Celles-ci ayant été plongées dans les enfers, parce que la mort les surprit dans l’affection au péché, il n’y aura de fin ni pour la culpabilité ni pour la peine ; et, quoiqu’elles ne souffrent pas autant qu’elles le méritent, cependant leur supplice sera éternel. Les autres, au contraire, ayant effacé la culpabilité de leurs fautes par une sincère pénitence, avant de quitter la vie, ne conservent dans les prisons du purgatoire que la peine qui, devant finir, s’abrège de plus en plus avec le cours du temps.
Misère épouvantable, et d’autant plus à déplorer que les hommes aveugles la connaissent moins ! La peine des réprouvés n’est pas infinie dans sa rigueur, parce que la toute aimable bonté de Dieu fait pénétrer jusqu’au fond des enfers les rayons de sa miséricorde. S’il n’écoutait que sa justice, le pécheur expirant dans l’état du péché mortel subirait une peine infinie en durée et en intensité.
Mais la divine miséricorde modère l’atrocité du supplice qu’il mérite, et ne lui laisse d’infini que la durée. Effroyable péril que celui auquel expose l’attachement au péché ! Puisque le coupable a tant de peine à se déterminer à la pénitence, sans laquelle pourtant la culpabilité du péché est ineffaçable, et amène un si affreux châtiment.
9 • Les âmes contemplent une fraction de Dieu
Quant aux âmes du purgatoire, leur volonté étant entièrement conforme à la sainte volonté de Dieu, elles jouissent d’une douce tranquillité. Il se plaît aussi, ce Dieu communicatif, à les rendre participantes de son ineffable bonté, parce qu’étant affranchies de la culpabilité du péché, et ramenées à la pureté primitive, il n’y a plus rien en elles qui s’y oppose.
Je dis qu’elles sont pures de tous péchés, parce que, les ayant confessés avec une contrition sincère avant de quitter la vie, Dieu leur remit généreusement la culpabilité, en sorte qu’il ne leur reste que la tache, ou la rouille qui doit être dévorée par le feu. Étant donc exemptes de toute culpabilité, et unies à la sainte volonté de Dieu, elles le contemplent clairement, selon la lumière qu’il leur donne ; et si elles n’ont ni la vision intuitive ni la jouissance qu’elle procure, du moins connaissent-elles le prix de cet estimable bienfait.
10 • La faim dévorante de Dieu : exemple du pain
De plus, ces âmes, à cause de la convenance qu’elles ont avec Dieu, sont très aptes à l’union divine pour laquelle elles ont été faites, et l’instinct naturel que Dieu leur donne les porte vers lui avec tant de force, que je ne saurais trouver ni comparaison, ni exemple, ni mode, pour en faire comprendre l’impétuosité telle que mon esprit la conçoit. J’essayerai néanmoins d’en dire quelque chose.
Je suppose :
- Qu’il n’y eût dans toute l’étendue de la terre qu’un seul pain destiné à nourrir tous les hommes, et qu’il ne fallût que le voir pour être rassasié ; n’est-ce pas que ce pain attirerait l’attention de toute l’espèce humaine ?
- Qu’un homme, ayant l’appétit naturel que l’on a dans la bonne santé, s’abstînt de tout aliment sans en être malade et même sans éprouver aucun affaiblissement, évidemment plus il prolongerait cette abstinence, conservant toujours le même appétit, plus sa faim deviendrait pressante. Je suppose
- Qu’il fût fort éloigné de ce pain, sachant très bien que sa vue seule peut le rassasier ; n’est-il pas vrai que plus il en approcherait sans pouvoir le contempler, et plus son appétit naturel serait en souffrance ?
- Qu’enfin, qu’il acquît la certitude de ne le voir jamais ; oh ! alors, en proie à un désir violent, et privé de tout espoir de le satisfaire, cette privation éternelle deviendrait pour lui une sorte d’enfer où il souffrirait comme les damnés qui, affamés de Dieu, savent que la vue de ce vrai pain de vie leur est pour toujours interdite. Or, telle est la triste position des âmes du purgatoire, le désespoir excepté, car elles ont l’espérance certaine de voir un jour ce pain, c’est-à-dire ce Jésus, notre Dieu, notre Sauveur et notre amour, dont la claire vue rassasiera tous leurs désirs. Mais en attendant, vous concevez combien est cruelle la faim qui les dévore.
11 • Les âmes se jettent d’elles-même en enfer ou au Purgatoire
Or, de même qu’une âme pure et exempte de toute faute ne trouve son repos qu’en Dieu, parce qu’il est la fin pour laquelle elle fut créée ; de même, une âme immonde et souillée par le crime ne peut demeurer ailleurs que dans le Tartare, qui est devenu sa fin par suite de ses péchés. C’est pourquoi, quand arrive la séparation des corps et des âmes, les âmes gravitent, si je puis parler de la sorte, comme naturellement vers les lieux divers qui leur sont destinés. Celle qui est souillée par le péché mortel n’attend pas qu’on la conduise dans le lieu des tourments où l’appelle la justice divine.
Son effroyable instinct la porte à s’y précipiter d’elle-même, et si on l’empêchait d’y parvenir, elle souffrirait plus cruellement que dans l’enfer même. Pourquoi ? Parce que partout ailleurs elle serait hors la volonté de Dieu toujours mêlée de miséricorde ; car, comme je l’ai déjà dit, les réprouvés dans l’enfer souffrent moins qu’ils ne l’ont mérité. Ne trouvant donc aucun lieu plus convenable à son état et plus doux pour elle que l’enfer, l’âme criminelle s’y rend comme dans son lieu propre.
Or, il en est de même du purgatoire dont il s’agit dans ce traité. L’âme juste, au sortir de son corps, voyant quelque chose en elle qui ternit son innocence primitive et s’oppose à son union avec Dieu, en éprouve une affliction incomparable, et, comme elle sait très bien que cet empêchement ne peut être détruit que par le feu du purgatoire, elle y descend incontinent et de bon cœur. Qui l’arrêterait en chemin lui rendrait un fort mauvais service. Ses tourments seraient beaucoup plus intolérables dans tout autre lieu que dans celui qui est spécialement assigné à sa purification, parce qu’elle sait que, tant que cet empêchement subsistera, elle n’arrivera point à sa fin dernière.
Il est vrai que la peine du purgatoire n’est pas différente de celle de l’enfer, ainsi que je l’ai dit plus haut ; mais celle qu’elle souffrirait en tout autre lieu, qui laisserait subsister l’obstacle à son bonheur, serait bien plus cruelle encore, quand même ce lieu serait le ciel.
12 • Le Ciel est ouvert à tous, c’est l’âme qui refuse d’y entrer tout de suite
Ce beau ciel, en effet, à le considérer du côté de Dieu, n’a point de portes. Il est ouvert à qui veut y entrer.
Le maître, parce qu’il est infiniment miséricordieux, a les bras constamment ouverts pour attendre les âmes et les recevoir dans sa gloire : mais la pureté de son essence est telle qu’une âme, souillée de la moindre tache, aimerait mieux se précipiter dans mille enfers, que de comparaître en cet état devant sa divine Majesté.
Sachant donc que le purgatoire est le bain destiné à laver ces sortes de taches, elle y court avec empressement, et se précipite dans ces flammes, beaucoup moins occupée des douleurs qui l’y attendent que du bonheur d’y retrouver sa première pureté. Son supplice est effroyable, si effroyable qu’aucun esprit ne le saurait comprendre, qu’aucune langue ne le saurait exprimer. Quant à la peine du sens, c’est l’enfer.
Néanmoins cette peine lui semble douce en comparaison de celle que le retardement de son union avec Dieu lui fait endurer. Les choses qui m’ont été révélées sur ce sujet, et que j’ai comprises selon la capacité de mon intelligence, surpassent de si loin toutes les connaissances, toutes les croyances, toutes les expériences des hommes en cette vie, que leur langage là-dessus ne me semble exprimer que des niaiseries et des mensonges. Je voudrais pouvoir déclarer ici tout ce que Dieu m’en a fait connaître : mais les paroles me manquent, je dois l’avouer à ma confusion. J’essayerai néanmoins d’ajouter à ce que j’ai déjà dit quelques nouvelles lumières, si Dieu daigne me le permettre.
Il y a une telle convenance entre Dieu et l’âme revêtue de l’innocence qui la décorait quand elle sortit de ses divines mains, qu’il fait tout pour la faire rentrer dans son union divine. Il l’enflamme d’un amour si ardent, et l’attire à lui avec tant de force, qu’il y aurait de quoi l’anéantir, si elle n’était immortelle. Il la transforme tellement en lui, qu’oubliant tout et s’oubliant elle-même, elle ne voit plus que celui qui l’embrase, qui l’attire, qui la purifie, pour la ramener à la source dont elle est sortie, c’est-à-dire à lui-même qui est tout à la fois et son principe et sa fin dernière.
À la chaleur de ce grand feu d’amour allumé dans son sein, elle s’amollit et se liquéfie, mais en même temps elle souffre de cruels tourments. Que dirai-je pour en faire bien comprendre la cause ? À la clarté de la lumière divine dont elle est toute pénétrée, elle voit :
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Que Dieu l’attire incessamment à lui, et emploie à consommer sa perfection les soins attentifs et continuels de sa providence, et cela par pur amour.
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Que les souillures du péché sont comme un lien qui l’empêche de suivre cet attrait, ou, pour mieux dire, une opposition à ce rapport unitif que Dieu voudrait lui communiquer, pour lui faire atteindre sa fin dernière et la rendre souverainement heureuse.
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Elle conçoit parfaitement quelle perte c’est que le moindre retardement de la vision intuitive.
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Enfin, elle sent en elle-même un désir instinctif on ne peut plus ardent, de voir disparaître l’obstacle qui empêche le souverain bien de l’attirer à lui. Or, je dis avec assurance que ce sont ces connaissances réunies qui produisent les tourments des âmes du purgatoire, tourments qui tous sont bien cruels sans doute ; mais cependant le plus terrible est sans contredit l’obstacle que rencontre en elles la sainte volonté de Dieu, qu’elles voient brûler pour elles du plus ardent amour. Cet amour est continuellement en action pour introduire dans ces âmes le rapport unitif afin de les attirer à lui. Il s’en occupe aussi constamment que si c’était là son action unique. Aussi en sont-elles si profondément touchées, que, s’il existait un autre purgatoire plus cruel que celui qu’elles habitent, elles s’y précipiteraient sur l’heure, pour être plus promptement délivrées de leur funeste empêchement.
13 • Les âmes sont purifiées par un feu divin
Or, je vois sortir du foyer de cet amour divin des rayons de feu, semblables à des lampes ardentes, qui pénètrent les âmes du purgatoire avec tant de violence et d’impétuosité, que, si elles avaient leurs corps, ils en seraient consumés, et qu’ils détruiraient ces âmes elles-mêmes, si elles n’étaient indestructibles. Ces rayons ont un double effet ; car ils purifient et anéantissent. Considérez qu’une matière qu’on met plusieurs fois en fonte devient toujours plus pure. On pourrait même la fondre tant de fois, qu’il n’y resterait à la fin aucun mélange impur. Voilà ce qu’opère le feu dans les choses matérielles.
Or, cette opération produit dans l’âme le même résultat. Longtemps mise en fusion, si je puis parler ainsi, dans le creuset du purgatoire, elle se dégage tellement de tout alliage impur, qu’elle redevient ce qu’elle était au sortir des mains de Dieu. On dit que l’or peut être purifié jusqu’à un tel degré, que le feu n’a plus désormais aucune action sur lui, et qu’aucune cause ennemie ne lui peut nuire, parce qu’il n’a rien à consumer ni à perdre que les parties étrangères qui souillent sa pureté.
Or, voilà précisément ce que le feu divin opère dans l’âme : car Dieu la tient dans le feu jusqu’à ce que toutes ses imperfections, toutes ses impuretés soient détruites. Ensuite, quand elle est parfaitement pure, l’amour la transforme entièrement, en sorte qu’il ne lui reste rien d’elle-même, et que son être est Dieu. Alors, n’ayant plus rien qui puisse être consumé, elle devient impassible ; en sorte que, si elle continuait à demeurer dans le feu, au lieu de la faire souffrir, il deviendrait pour elle le feu du divin amour qui lui ferait trouver le ciel dans ce lieu de supplices.
14 • L’âme regagne son innocence primitive
Dans la création, l’âme reçut de Dieu tous les moyens de perfection dont elle était capable, afin qu’elle pût vivre conformément à ses préceptes, et se maintenir pure de tout péché ; mais bientôt après, devenue coupable de la faute originelle, elle perdit tous ses dons, toutes ses grâces et même la vie. Dieu seul pouvait la lui rendre, et c’est ce qu’il a fait par le baptême, mais en lui laissant la concupiscence qui l’excite sans cesse au péché actuel et le lui fait commettre en effet, à moins qu’elle ne résiste à ses attraits.
Le premier péché mortel dont elle se rend coupable lui donne de nouveau la mort, et Dieu la ressuscite par une autre grâce singulière, qui est celle de la pénitence ; mais elle sort du tombeau tellement corrompue, tellement repliée sur elle-même, que, pour revenir à son innocence primitive, elle a besoin de toutes les opérations divines dont j’ai parlé plus haut, et sans lesquelles elle ne la recouvrerait jamais. Or, c’est dans les prisons dont il s’agit que ces opérations divines achèvent l’ouvrage, s’il n’a pas été terminé pendant la vie, et voici comment cela se fait : l’âme renfermée dans ces bas lieux brûle d’un désir si ardent de se transformer en Dieu, que cela fait son purgatoire ; car ce n’est pas le lieu qui purifie l’âme, mais bien la souffrance produite par l’empêchement qui arrête son instinct unitif.
L’amour divin, qui aperçoit en elle tant de secrètes imperfections, que si elle les voyait, cette vue la réduirait à une sorte de désespoir, travaille à les détruire, sans qu’elle y coopère. Enfin, son feu toujours croissant devient si vif, qu’il les consume entièrement, et, lorsqu’elles sont consumées, Dieu les lui montre, pour lui faire connaître l’opération divine à laquelle elle doit le retour à la pureté de sa création.
Il faut savoir que ce qui est parfait aux yeux de l’homme est plein de défauts aux yeux de Dieu. C’est pourquoi l’homme est sali et blessé dans toutes ses œuvres, qui lui présentent une apparence de perfection, lorsqu’il les considère, les sent, les comprend, les veut, s’en souvient à sa manière, et ne les attribue pas purement à Dieu ; car il est requis, pour la perfection de nos œuvres, qu’elles se fassent en nous, sans nous, Dieu ne se servant de nous que comme de simples instruments pour les faire. Or, ces œuvres que Dieu seul fait en nous, sans que nous les méritions, par la dernière opération de son pur amour, sont si ardentes, et pénètrent l’âme si profondément, que le corps qui l’enveloppe paraît receler un feu qui le consume : et sa position est celle d’un homme placé dans une fournaise, qui ne peut jouir d’aucun repos qu’après avoir perdu la vie.
15 • Tranquillité et tourments
Or, quoique le divin amour, qui se déborde dans les âmes du purgatoire avec une abondance que je crois concevoir et ne puis rendre, les tranquillise ; cependant leur supplice n’en est pas diminué. Je dirai plus : c’est le retardement de la jouissance de cet amour qui est la cause de leur peine, peine d’autant plus cruelle que l’amour dont Dieu les rend capables est plus parfait.
Ces pauvres âmes jouissent donc de la plus profonde tranquillité en même temps qu’elles subissent le plus horrible tourment, sans que l’un nuise à l’autre. Si elles pouvaient expier leurs fautes par le repentir, il ne leur faudrait qu’un instant pour payer toutes leurs dettes ; car leur contrition est d’autant plus vive et plus parfaite, qu’elles voient plus clairement combien l’empêchement produit par le péché les rend malheureuses, et s’oppose à leur union avec Dieu, leur amour et leur fin. Mais, hélas ! il n’en est pas de la sorte. Tenez pour certain que Dieu ne fait à ces âmes chéries aucune remise de la peine qu’elles ont méritée, et qu’elles ne sortiront de leurs cachots qu’après avoir payé jusqu’à la dernière obole ce qu’elles doivent à sa justice : Dieu l’a ainsi voulu et décrété.
Dur est-ce, ces âmes, n’ayant plus de propre choix, ne peuvent voir ni vouloir autre chose que cette volonté sainte. Si les prières des vivants, les indulgences, ou le saint sacrifice, leur procurent quelque abréviation de tourments, cela ne fait naître en elles aucun désir de voir ou considérer cette aumône autrement que dans la balance de la volonté divine. Elles abandonnent tout ce qui les concerne à la disposition de Dieu, qui accepte ce paiement venu de la terre en déduction de leur dette, selon le bon plaisir de son immense bonté.
Si elles pouvaient voir avec plaisir cette aumône spirituelle hors du bon plaisir de Dieu, elles feraient un acte de propriété qui les priverait de la vision de la volonté divine, et leur causerait un nouveau tourment. Quelles que soient donc les dispositions de Dieu à leur égard, joyeuses et délectables, ou tristes et douloureuses, elles demeurent immobiles, sans aucune réflexion dont elles soient l’objet : car il leur est impossible, comme je l’ai déjà dit, de se replier sur elles-mêmes, tant elles sont transformées dans la sainte volonté de Dieu, aux dispositions de laquelle elles acquiescent de la manière la plus parfaite.
Du reste, cela se conçoit ; car si une âme non encore parfaitement purifiée était présentée à Dieu, elle endurerait un supplice dix fois plus intolérable que celui du purgatoire. Pourquoi ? parce qu’elle ne pourrait supporter la vue ni de sa très pure bonté, ni de sa justice sévère, ni se supporter elle-même en voyant dans ce miroir sa laideur et sa difformité. Ne manquât-il à une âme qu’un tout petit instant pour achever l’expiation de ses fautes, son tourment serait insupportable à la vue de ce reste d’impureté qu’elle découvrirait en elle, et elle préférerait se jeter dans mille enfers plutôt que de paraître devant la divine majesté de Dieu.
16 • Exhortation aux vivants
Que n’ai-je une voix de tonnerre pour me faire entendre par toute la terre ! Je dirais à tous ceux qui l’habitent, et je me sens pressée de leur dire en effet :
« Infortunés ! pourquoi vous laissez-vous tyranniser ainsi par le monde ? Pourquoi ne jetez-vous pas les yeux sur la détresse où vous vous trouverez à la mort, et ne pourvoyez-vous pas à votre avenir, pendant qu’il en est temps encore ?
Vous présumez de la miséricorde de Dieu ; vous l’exaltez sans fin ; vous la dites sans bornes ; mais vous ne pensez pas que cette bonté si grande sera précisément ce qui vous condamnera au jour du jugement, pour n’avoir pas voulu accomplir la volonté du plus excellent de tous les maîtres.
Cette bonté, dont il use à votre égard, devrait vous engager à lui obéir, au lieu de vous encourager à lui déplaire, d’autant plus qu’à la bonté méprisée succède nécessairement la justice à laquelle il faut bon gré mal gré satisfaire pleinement. Vous vous rassurez peut-être dans la pensée qu’après la confession vous gagnerez des indulgences plénières, et que vos dettes étant ainsi payées, rien ne s’opposera plus à votre admission dans le ciel ; mais cette confiance n’est rien moins que sûre.
Il faut, pour gagner ces grandes indulgences, une confession et une contrition qui ne sont pas sans difficultés ; je les crois même telles, que, si vous les connaissiez, vous auriez plus de crainte là-dessus que d’espérance, et vous vous persuaderiez plutôt perdre ces indulgences que les gagner. »
17 • Sentiments des âmes en Purgatoire
La grâce produit dans les âmes du purgatoire deux opérations dont je remarque qu’elles ont la vision et la connaissance.
La première est qu’elles souffrent leurs tortures de bon cœur, et les regardent comme une grande miséricorde, en considérant, d’une part, l’incompréhensible majesté de Dieu, et, de l’autre, leurs audacieuses offenses et les châtiments qu’elles méritent. Il est certain, en effet, que si la bonté de Dieu ne tempérait sa justice par la satisfaction du sang précieux de Jésus-Christ, un seul péché mortel serait digne de mille enfers. Elles trouvent donc leur supplice si convenable et si juste, qu’elles ne voudraient pas que sa rigueur fût le moins du monde diminuée ; et, quant à leur volonté, elles sont aussi contentes de Dieu que si déjà il les avait admises aux délices éternelles.
La seconde opération de la grâce en elles est la joie qu’elles conçoivent en voyant que Dieu ne laisse pas que de les aimer beaucoup, tout en les punissant. Il ne faut à Dieu qu’un instant pour imprimer ces deux visions dans ces âmes ; et, parce qu’elles sont en état de grâce, elles les conçoivent telles qu’elles sont, chacune cependant selon sa capacité. En conséquence, elles éprouvent une grande joie qui ne diminue jamais, qui, au contraire, augmente, à mesure qu’elles approchent de Dieu davantage. Du reste, elles ne voient pas ces vérités en elles-mêmes ni par elles-mêmes ; elles voient cela en Dieu dont elles sont bien plus occupées que de leurs tourments, parce que la moindre vision qu’on peut avoir de Dieu excède tout supplice et toute joie imaginables. Cependant la joie en elles n’ôte rien à la douleur, ni la douleur à la joie.
18 • Dispositions intérieures de Catherine
J’ai dit au commencement de ce traité ce qui m’a fait connaître l’état des âmes du purgatoire ; mais je désire déclarer ici plus clairement ma pensée. Depuis deux ans, mon âme est dans une situation semblable à celle de ces âmes ; j’expérimente leurs peines, et de jour en jour plus sensiblement. Il me semble que mon âme demeure dans mon corps comme dans un purgatoire ; de telle sorte néanmoins que ce corps peut supporter ses peines sans mourir, jusqu’à ce que ce supplice, qui va croissant peu à peu, l’use entièrement et le détruise.
Je me sens détachée de tous les objets terrestres, et même des biens spirituels qui peuvent nourrir mon âme et la combler de délices, telles que la joie, la délectation et la consolation. Je sens que je ne puis plus goûter rien de temporel, ni même de spirituel, par la mémoire, l’entendement ou la volonté, de manière à pouvoir dire que telle chose me plaît plus que telle autre. J’éprouve une telle pression spirituelle, que je ne sais plus ce que c’est que récréation et soulagement pour l’âme comme pour le corps. Je me rappelle encore quelquefois les objets qui me procuraient ces sortes de jouissances ; mais aujourd’hui ils ne m’inspirent plus que de l’aversion et de l’horreur ; ce qui fait que je les tiens perpétuellement éloignés de moi.
Telles sont maintenant mes dispositions intérieures, et la cause en est dans le zèle que Dieu me donne pour ma perfection. Mon âme, en effet, est si fortement poussée à détruire tous les obstacles qui s’y opposent, que, pour venir à bout de son dessein, elle se précipiterait dans l’enfer, s’il était nécessaire. Voilà pourquoi elle repousse tout ce qui repaît et console l’homme intérieur ; et elle le serre de si près, qu’elle aperçoit en lui et poursuit avec exécration l’imperfection la plus légère.
L’homme extérieur, étant ainsi destitué du secours et des consolations de l’esprit, éprouve une telle gêne, une telle souffrance, qu’il ne trouve plus rien sur la terre qui puisse le récréer humainement ; en sorte qu’il n’a plus d’autre soulagement que Dieu seul, qui dispose ainsi toutes choses, avec autant d’amour que de miséricorde, pour la satisfaction de sa justice.
La vue de cette disposition de la providence procure à mon âme une paix et une volupté vraiment délicieuses, sans pourtant que mes souffrances en soient le moins du monde diminuées. Je dirai plus, rien ne pourrait l’affliger davantage que de s’écarter tant soit peu de cet ordre de choses établi de Dieu pour sa purification. Aussi elle ne sort ni ne désire sortir de sa prison, jusqu’à ce que le Seigneur ait parfaitement accompli ses desseins sur elle.
Je trouve ma consolation et ma joie dans l’accomplissement de la volonté de Dieu, et le plus grand supplice qu’on pourrait m’infliger serait de me soustraire à ses dispositions, que je confesse être aussi justes que miséricordieuses. Je vois tout ce que je viens de raconter. Je le touche en quelque sorte, et, si je l’explique mal, c’est faute d’expressions convenables à un tel sujet. Du reste, je me suis sentie spirituellement portée à écrire sur cette matière, et j’ai dû céder, comme je l’ai fait, à cette secrète impulsion, mais il me reste encore quelque chose à dire.
La prison que j’habite est le monde. Le lien qui m’y attache c’est mon corps. Mon âme éclairée par la lumière d’en haut comprend combien ce lien qui la retient captive, et l’empêche de s’unir à sa fin dernière, la rend malheureuse, et, parce qu’elle est très sensible, cette captivité lui cause une profonde douleur. Cependant, par un bienfait de son auteur, que je ne saurais trop reconnaître, cette âme a reçu une telle dignité, qu’elle est non seulement semblable à Dieu, mais encore que, par une participation de sa bonté, elle ne fait avec lui qu’une seule et même chose.
Or, parce qu’il est impossible que la douleur affecte Dieu, elle ne peut pas davantage affecter une âme qui lui est unie, et participe d’autant plus à ce qui lui est propre, que son union avec lui est plus étroite. Mais, hélas ! une âme qui, comme la mienne, trouve en elle un empêchement à cette admirable union, souffre un tourment intolérable. Ensuite cette affliction et ce retardement la rendent dissemblable à ce qu’elle était dans sa création, et à ce que Dieu veut qu’elle redevienne par la grâce. Autant elle estime Dieu, autant elle est donc affligée de ce qui la sépare de lui.
Or, elle estime d’autant plus Dieu qu’elle le connaît davantage, et elle le connaît d’autant mieux qu’elle est plus pure du péché. C’est donc au point où elle est presque rentrée dans son état primitif d’innocence qu’elle souffre davantage ; mais, quand tout empêchement est détruit, et qu’elle est entièrement transformée en Dieu, alors la connaissance qu’elle en a ne laisse plus rien à désirer, et sa béatitude est parfaite.
De même qu’un martyr, qui préfère la mort au malheur d’offenser Dieu, sent la douleur qui lui ôte la vie, mais la méprise par le zèle de la gloire divine que la lumière de la grâce lui communique ; ainsi l’âme éclairée d’en haut sur la sagesse des dispositions de la volonté de Dieu fait plus de cas de cette volonté sainte que de tous les tourments, soit intérieurs, soit extérieurs, quelque cruels qu’ils soient.
La raison en est que quand Dieu occupe tant soit peu une âme de lui, il la rend si appliquée, si attentive à sa majesté sainte, que tout le reste n’est rien à ses yeux. Alors elle est dépouillée de toute propriété, elle ne voit plus, elle ne connaît plus, ni les motifs de sa condamnation, ni le supplice qu’elle endure. Elle a vu tout cela au sortir de la vie ; mais le souvenir lui en fut ôté à cet instant et pour toujours.
Je finis par faire observer que le Dieu trois fois bon, comme il est trois fois grand, en purifiant l’homme dans le feu du purgatoire, consume et anéantit tout ce qu’il est naturellement, pour le transformer en lui et le faire Dieu.
